Le bonheur au travail
Vos collaborateurs passent une grande partie de la journée au travail. Ils privilégient dès lors un emploi dans lequel ils se sentent valorisés et peuvent faire la différence et où ils créent des liens d’amitié avec leurs collègues. En outre, une entreprise dans laquelle les travailleurs s’épanouissent constitue également la clé du succès pour vous en tant qu’employeur. La raison est simple : des collaborateurs heureux ont plus d’énergie, sont plus performants, préconisent la collaboration et débordent d’enthousiasme. Vous créez des ambassadeurs de votre marque d’employeur et l’absentéisme diminue. Tout le monde y trouve son compte.
Mais la conviction récente que le bonheur au travail est réalisable soulève d’emblée de nombreuses questions. Le bonheur au travail est-il réellement un facteur déterminant pour vos collaborateurs ? Jusqu’où va votre responsabilité en tant qu’employeur ? Qu’est-ce qui rend précisément vos collaborateurs heureux ? Comment déterminer ce bonheur ensemble et quels sont les obstacles éventuels ? Autant de questions qui appellent des réponses différentes. En effet, le bonheur au travail n’est pas une science exacte. Nous avons sélectionné 5 constats et tendances marquants qui génèrent au moins autant de points de discussion.
#1 L’importance du bonheur au travail passe généralement inaperçue
Beaucoup d’argent, peu de rendement
Après le « greenwashing », le « happywashing » a le vent en poupe. Cette tendance consiste pour une entreprise à utiliser le bonheur pour s’offrir une plus belle image. Le bonheur au travail se juge sur les apparences extérieures, à l’instar des photos de collaborateurs heureux publiées sur les réseaux sociaux lors de fêtes d’entreprise et des sorties. Les corbeilles de fruits sur les bureaux, les salles de fitness, les coins de relaxation et autres initiatives pour égayer le lieu de travail relèvent de la même catégorie. L’intention est bonne, mais la mise en œuvre n’est pas optimale, de sorte que les résultats se font attendre.
Le bonheur au travail, un moteur puissant
D’une manière générale, l’absence d’une politique structurelle et de mesures ciblées constitue le talon d’Achille de nos entreprises. Et c’est bien dommage, car selon l’Enquête nationale du Bonheur réalisée en 2019, notre emploi contribue à notre sentiment général de bonheur à concurrence de 18 % en moyenne. Pour les employeurs aussi, une politique intelligente peut faire un monde de différence, d’autant plus quand on sait que le travailleur belge a totalisé en moyenne 13 jours d’absence en 2019 (chiffres du prestataire de services RH SD Worx), ce qui constitue une tendance en nette progression par rapport aux années précédentes, soit 15 % sur 5 ans.
«On assiste actuellement à un mouvement de rattrapage, y compris dans les PME. Investir dans le personnel devient plus important, mais beaucoup n’en prennent conscience que lorsque c’est déjà trop tard : l’absentéisme est alors déjà élevé, la rotation du personnel s’accélère et il est plus difficile de trouver des talents. Mon conseil : instaurez dès aujourd’hui une stratégie proactive axée sur le bonheur au travail.»
Elke Haemelynck, Fondatrice de Happy Humans
13%
seuls 13 % des collaborateurs se disent totalement satisfaits de leur « expérience » (Harvard Business Review, juillet-août 2020).
Plus de 2 000 euros par collaborateur
Tel est le montant que les entreprises ont consacré en 2019 aux initiatives destinées à améliorer l’expérience des collaborateurs, si l’on en croit une enquête mondiale réalisée par le bureau d’études Gartner. Parmi celles-ci figurent des projets de formation et de développement, des adaptations de l’espace de travail et des teambuildings.
« Les entreprises considèrent souvent le bonheur au travail comme une futilité, mais c’est une erreur. Il s’agit précisément d’un moyen idéal pour susciter l’engagement et la fidélité.»
Frank Geers, Managing Partner chez Hip Consult
Plus que le bien-être
Qu’est-ce qui constitue effectivement une priorité dans nos entreprises ? Le bien-être physique et psychosocial des travailleurs, qui relève d’une obligation légale pour les employeurs belges. Dans chaque entreprise, diverses initiatives, allant de la gestion des conflits à l’ergonomie, sont prises pour améliorer le bien-être (et la sécurité). Mais ce n’est qu’une partie du tableau. L’idée que le bien-être et le bonheur au travail ne sont pas synonymes doit encore souvent faire son chemin chez les employeurs. Pour éradiquer les cultures de la plainte et rendre les travailleurs heureux, il faut une stratégie qui aille au-delà des apparences extérieures et des check-lists légales. Et bien que les chiffres sur l’importance du bonheur au travail en disent long, elles sont encore trop rares ou ou inefficaces.
#2 Les employeurs et les travailleurs se rejettent mutuellement (une partie de) la responsabilité du bonheur au travail
Déni de responsabilité
Employeurs et travailleurs s’accordent à dire que le bonheur au travail peut être stimulé ou limité. Mais à qui incombe cette responsabilité ? Ou plutôt, à qui devrait-elle incomber ? Les avis semblent partagés. En effet, la majorité des travailleurs ne se considèrent pas comme des initiateurs primaires, mais plutôt comme des « suiveurs ».
Si les solutions ne leur sont pas proposées par la hiérarchie, ils cherchent des alternatives externes. Ce qui implique que de nombreux travailleurs considèrent que leur voix n’est pas assez entendue par le management ou qu’ils n’ont pas l’occasion d’exprimer leur avis.
« Quoi qu’en disent certaines entreprises, le travailleur et l’employeur ne sont pas sur un pied d’égalité. Il reste toujours une certaine forme de hiérarchie. Une approche ascendante à 100 % relève donc de l’utopie. La balle est d’abord dans le camp de l’employeur.»
Claude Lambrechts, Secrétaire Nationale à la Centrale Nationale des Employés (CNE-CSC)
Une activation optimale
Étonnamment, les employeurs ont un avis totalement différent sur la question. Ils considèrent le bonheur au travail par excellence comme une responsabilité commune. Tous s’accordent à dire que l’employeur doit créer un cadre qui offre entre autres des possibilités d’évolution, des conditions de travail favorables et une politique salariale moderne, mais que le travailleur est responsable en fin de compte de ses propres choix. Qui plus est, les travailleurs ne doivent pas être trop maternés. Le travail durable et faisable ne sera possible que grâce à une activation optimale. Les employeurs estiment que les collaborateurs doivent donc avant tout identifier eux-mêmes les facteurs qui les rendent heureux au travail, avant de saisir les opportunités proposées. Cette activation engendre en outre une responsabilisation.
81%
des travailleurs considèrent que le bonheur au travail est entre les mains de leur patron. C’est ce que révèle une enquête réalisée par l’acteur RH Robert Half auprès de plus de 1 000 travailleurs belges.
Écouter, c’est savoir
Cette dichotomie montre qu’il reste encore beaucoup de pain sur la planche. Néanmoins, une chose est sûre : se rejeter la responsabilité ne sert à rien, car le bonheur des Belges sur leur lieu de travail est en régression. Quel que soit le responsable (primaire), se concentrer sur la communication interne semble être une première étape logique dans les deux cas. Par exemple, que représente le concept du bonheur au travail pour les deux parties ? Il convient d’harmoniser les attentes de part et d’autre de manière optimale. Seule une écoute mutuelle permettra d’y parvenir.
« Vos collaborateurs ont des valeurs, au même titre que votre entreprise. Dans le meilleur des cas, elles seront similaires, mais il arrive parfois qu’elles évoluent dans des directions opposées au fil du temps. L’entreprise devra dès lors, dans la mesure du possible, rester vigilante et chercher de nouveaux dénominateurs communs entre ses objectifs et les souhaits de ses collaborateurs.»
Frank Geers, Managing Partner chez Hip Consult
#3 Les besoins d’autonomie, d’appartenance et de compétences constituent la base du bonheur au travail
Les 3 B du bonheur au travail
Les facteurs responsables de visages souriants sur le lieu de travail ont déjà fait couler beaucoup d’encre. Lieven Annemans, économiste et professeur du bonheur à l’Université de Gand, a cependant défini un cadre simple et utile. Pour lui, le bonheur au travail repose sur les 3 B :
- Le Besoin d’autonomie — La mesure dans laquelle les collaborateurs peuvent prendre eux-mêmes des décisions dans leur fonction, comme se charger de tâches supplémentaires et proposer de nouvelles méthodes de travail.
- Le Besoin d’appartenance sociale — La mesure dans laquelle les collaborateurs se sentent bien dans l’équipe et s’identifient à l’employeur. L’ambiance de travail, la culture d’entreprise et la fierté sont trois éléments essentiels à cet effet.
- Le Besoin de compétences — La mesure dans laquelle les collaborateurs se sentent compétents et sûrs d’eux. Les travailleurs aspirent à un emploi dans lequel ils peuvent déployer leurs talents, qui accorde de l’importance à l’apprentissage et au développement.
« Le manque d’appartenance sociale se marque parfois dès le départ. De nombreuses petites organisations ne définissent pas précisément leur mission, leurs valeurs et leurs objectifs. « Le pourquoi » n’est pas clair, alors que le bonheur au travail nécessite également de savoir ce à quoi vous contribuez.»
Elke Haemelynck, Fondatrice de Happy Humans
Mon travail, mon second chez-moi
Selon une étude de l’Université de Gand, 1 travailleur sur 5 affirme devoir souvent, si ce n’est toujours, se comporter différemment lorsqu’il est avec ses collègues et n’ose pas être lui-même, ce qui entraîne rapidement la solitude au travail. Celle-ci constitue le principal obstacle au bonheur au travail. En revanche, dans les entreprises qui parviennent à créer un sentiment d’appartenance, dans les bons comme les mauvais jours, l’expérience employé représente un atout manifeste.
Des options abordables
Dès que les employeurs sont convaincus qu’il est essentiel d’investir dans leurs collaborateurs, de nombreuses possibilités s’ouvrent à eux. Du reste, les initiatives efficaces qui tiennent compte des 3 B du bonheur au travail ne coûtent pas nécessairement cher. La reconnaissance, la responsabilisation, les possibilités d’apprentissage et l’encouragement des initiatives personnelles en constituent quelques exemples. L’argument financier perd tout son poids lorsque l’on sait que les entreprises « épanouies » sont 10 à 30 % plus performantes que leurs concurrentes.
« De nombreux dirigeants ou responsables RH associent le bonheur au travail aux investissements financiers. La bonne nouvelle, c’est que vous pouvez entreprendre de nombreuses actions qui ne coûtent pratiquement rien.»
Laurence Vanhée, Fondatrice de Happyformance
Selon une étude de l’Université de Gand réalisée auprès de 3 770 personnes, les travailleurs attribuent un score de satisfaction de :
au Besoin d’autonomie
au Besoin d’appartenance sociale
au Besoin de compétences
« Nous concentrons tous nos efforts sur le sentiment d’être à sa place dans notre entreprise. Nos collaborateurs doivent-ils chaque jour arriver avec un grand sourire au travail ? Non, il arrive à tout le monde de connaître un mauvais jour ou un passage à vide. Mais c’est précisément dans ces moments-là que l’entreprise doit apporter un réconfort. L’essence du bonheur au travail est de pouvoir être soi-même en toutes circonstances. La fidélité sera en outre votre récompense.»
Bie De Backer, Directeur RH & Communication chez Durabrik
#4 La hiérarchie directe ne peut assumer son rôle clé qu’avec l’accompagnement approprié
Besoin de changement
Le traditionnel modèle descendant perd du terrain dans les entreprises qui l’appliquent encore. Les travailleurs portent aujourd’hui un regard différent sur leur hiérarchie – leur interlocuteur au quotidien. Ils attendent une politique qui profite aux deux parties et qui les rend « plus heureux ». Mais que montre l’enquête ? Pour beaucoup de travailleurs, la hiérarchie directe constitue précisément un obstacle à leur quête du bonheur au travail. Les chiffres d’Hip Consult sont éloquents : à peine 44 % se disent véritablement satisfaits de leur supérieur direct, 21 % se sentent découragés et 10 % sont même révoltés. Le manque de reconnaissance notamment s’est accentué par rapport aux années précédentes.
56%
des travailleurs ne sont pas totalement satisfaits de leur hiérarchie directe.
Une fonction sandwich
La relation difficile entre les collaborateurs et les supérieurs hiérarchiques peut s’expliquer par les différentes casquettes que ces derniers doivent porter. Ils sont chargés, d’une part, de répondre de manière optimale aux besoins et aux souhaits des membres de leur équipe, et d’autre part, de veiller au respect de la stratégie et des objectifs de l’entreprise. Pour finir, ils portent également leur propre casquette, car ce sont eux aussi des êtres humains, avec des valeurs, des besoins et des aspirations. Bref, ils doivent défendre des intérêts divers dans un contexte qui ne permet pas toujours de satisfaire tout le monde.
« Le rôle crucial que jouent les supérieurs hiérarchiques dans le bonheur au travail est indéniable. Mais nous oublions parfois qu’ils sont eux aussi en proie au stress, aux doutes et aux soucis. Il se peut aussi que leur liberté de décision soit entravée ou qu’ils manquent de confiance en soi – ce n’est pas évident lorsque tout le monde se tourne vers vous pour les solutions.»
Griet Deca, Chief Happiness de Tryangle
Investir dans le développement des cadres moyens
Comment faire pour être un manager qui rend heureux ? Encadrement, confiance et transparence sont les clés du succès. Le leadership axé sur la personne est devenu plus important que le leadership technique. Le bonheur au travail apparaît lorsque les collaborateurs ont le sentiment de pouvoir expliquer ce qui va et ne va pas et que quelqu’un tiendra effectivement compte de ces informations par la suite. Cela commence par un supérieur hiérarchique direct qui se renseigne, de manière informelle, sur les préoccupations de son équipe, mais aussi par le soutien que ces supérieurs reçoivent. Les employeurs doivent également investir en eux, d’autant plus qu’ils détiennent la clé du bonheur au travail de nombreuses autres personnes. Autrement dit : prévoyez les outils, la liberté et la formation nécessaires.
« Encadrer, servir de médiateur, décider, écouter, inspirer... Un supérieur hiérarchique direct doit être capable de tout faire. Nous en attendons trop de leur part. La solution passe par un meilleur soutien de la hiérarchie et une autonomisation des collaborateurs. Dans le meilleur des cas, le supérieur crée un contexte dans lequel les collaborateurs peuvent et doivent prendre les rênes en mains.»
Kathleen Vangronsvelt, Professeur à l’Antwerp Management School
#5 Les employeurs ne trouvent pas la formule exacte du bonheur pour leurs différentes équipes
Un lieu de travail hétéroclite
Investir dans le bonheur au travail est très rentable. Malgré cette réelle prise de conscience, la mise en pratique n’en demeure pas moins délicate. Jamais encore autant de générations différentes ne se sont côtoyées au travail. Dès lors, ce qui rend les uns heureux est considéré comme accessoire par les autres. Les générations X et Y recherchent plutôt une entreprise branchée, sans silos ni code vestimentaire, et un bon équilibre travail-vie privée. Ce sont pour ainsi dire de véritables « happyholics », qui font de moins en moins la différence entre le travail et la vie privée. Les générations plus âgées ont quant à elles d’autres priorités, comme la sécurité d’emploi, mais elles sont généralement plus épanouies au travail que leurs collègues plus jeunes, selon l’enquête de Robert Half. Autre problème : tout le monde ne correspond pas au canevas de sa génération. Les préférences personnelles peuvent diverger fortement, la « génération » ne constituant qu’une des différences possibles entre collègues.
Mettre des accents
La communication transcende toutes les différences. Presque tous les collaborateurs ont envie que leur employeur s’enquière de leur ressenti et de leurs besoins. Par conséquent, écoutez votre personnel, interrogez-le – sans questionnaire formel – et essayez de voir les choses de leur point de vue. Le bonheur au travail est très individuel. Il est facile de lancer une formule universelle, mais elle vous fera manquer de nombreuses opportunités. En revanche, si vous parvenez à mettre des accents basés sur des entretiens quotidiens avec vos collaborateurs, vous créerez des ambassadeurs de votre entreprise.
« L’essence du bonheur au travail, c’est aimer faire ce que l’on fait bien et ce qui est utile pour l’organisation. Ce sentiment, vous ne l’obtenez pas avec des corbeilles de fruits au travail, mais grâce à une communication ouverte et une politique mûrement réfléchie. Cela implique effectivement de savoir ce que chacun aime faire et fait correctement, et comment l’inscrire dans le cadre de vos objectifs.»
Laurence Vanhee, Fondatrice de Happyformance
« Les besoins et les souhaits sont déterminés dans une large mesure par la phase de vie dans laquelle la personne se trouve. Par exemple, a-t-elle des enfants en bas âge ? Envisage-t-elle de déménager ou de faire des transformations ? Ou entame-t-elle la dernière ligne droite avant la pension?»
Frank Geers, Managing Partner chez Hip Consult
Apprécié, efficace et utile
La diversité sur le lieu de travail engendre une impossibilité de tout standardiser parfaitement. En revanche, vous pouvez rechercher les dénominateurs communs, car il en existe sans aucun doute. Une ambiance de travail agréable et la transparence sont considérées par tous comme importantes. Tentez ensuite d’identifier les attentes de chaque groupe ou collaborateur et d’y donner suite. La tâche est effectivement d’envergure. Mais pour réussir, vous devrez considérer le bonheur au travail comme une stratégie d’entreprise complémentaire. Ce n’est qu’ainsi qu’il sera possible de proposer des solutions de bonheur sur mesure.
« Le bonheur est généralement quelque chose de très personnel et de fugace. Ce dont les entreprises – et surtout les supérieurs hiérarchiques directs – sont quand même responsables, c'est du bien-être au travail. Et il est clair qu'il s'agit là d'une composante importante du bonheur au travail. »
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