Le marché du travail
Après la crise du coronavirus, le marché du travail belge retrouvera-t-il le « business as usual » ou prendra-t-il un nouvel élan ? Tant que la crise sanitaire n’est pas terminée, on ne peut que spéculer sur son impact exact, mais on déplore d’ores et déjà des pertes d’emploi. La course aux talents prendra probablement une nouvelle tournure, avec plus de candidats potentiels et un nombre croissant de chercheurs d’emploi contraints de se recycler.
Dans l’intervalle, les anciennes tendances perdurent : les emplois existants voient leur contenu évoluer et de nouveaux métiers apparaissent. Les compétences digitales semblent aujourd’hui devenir encore plus essentielles. Nous avons sélectionné 5 thèmes – sous la forme d’affirmations et de tendances – pour aborder le marché du travail de l’après-Covid et l’importance de l’apprentissage tout au long de la vie.
#1 Le marché du travail belge toujours confronté aux mêmes problèmes
Des carrières concentrées
Les points sensibles du marché du travail belge (faible taux d’emploi, cherté de la main-d’œuvre, marché du travail au noir, inactivité élevée, carrières relativement courtes) n’ont pas énormément changé au cours des 10 dernières années, comme le révèle un rapport de Randstad Research de 2019. Pour certains indicateurs (p. ex. le nombre d’années de carrière), l’écart par rapport à l’Europe continue même de se creuser.
Par ailleurs, notre pays compte encore et toujours un taux d’occupation trop faible, en particulier parmi les profils peu qualifiés. Malheureusement, c’est essentiellement ce groupe cible qui investit le moins dans la formation continue. Il en résulte un décalage toujours plus grand entre les travailleurs.
Activer les profils peu qualifiés reste difficile
Les chiffres nationaux cachent toutefois de grandes disparités régionales : la Région flamande se porte considérablement mieux que les deux autres. La Flandre enregistre en effet une nette progression du taux d’emploi des travailleurs peu et moyennement qualifiés, bien qu’elle se maintienne dans la moyenne de la classe européenne. En revanche, son faible taux de chômeurs la propulse dans le peloton de tête européen.
« Le marché de l’emploi belge n’existe pas. Notre pays en compte à vrai dire trois, chacun présentant sa propre dynamique, avec néanmoins quelques caractéristiques communes. Le fait qu’il reste un grand nombre de postes à pourvoir dans des métiers en pénurie spécifiques en constitue un exemple. Nous tentons d’y remédier en proposant un large éventail de formations. Néanmoins, inciter les candidats à suivre des formations, qu’il s’agisse de travailleurs ou de chercheurs d’emploi, reste un défi de taille. »
Marie-Kristine Van Bockestal, Administrateur Général au FOREM
« Notre population active compte toujours un groupe conséquent de personnes sans travail, en dépit de tous les efforts. Par ailleurs, les jeunes de notre pays arrivent relativement tard sur le marché de l’emploi. Pour certains, on peut se demander à juste titre si toutes ces années d’études sont bien nécessaires. À l’autre extrémité de la courbe d’âge se manifestent également les conséquences de la retraite anticipée. Autrement dit, nos carrières sont fortement concentrées dans la tranche d’âge des 25-45 ans. »
An De Coen, Expert en Compétences et Marché du Travail chez Idea Consult
#2 La crise du coronavirus dévoile les faiblesses de notre marché de l’emploi
La fracture sociale risque de s’agrandir
Les travailleurs au statut précaire – faible revenu, contrat temporaire, travail à temps partiel involontaire, peu ou pas de représentation sur le lieu de travail ou une combinaison de ces facteurs – risquent d’être les principales victimes de la situation économique incertaine après la crise du coronavirus. En d’autres termes, nous assistons à un effet Matthieu : à celui qui a, il sera beaucoup donné. Mais celui qui avait déjà des difficultés avant cette crise risque de pâtir encore plus en raison d’une faible protection sociale.
« Les jeunes font toujours partie des premières victimes d’une crise économique, précisément à cause de leur peu d’expérience. Il est donc à craindre que la fracture sociale s’agrandisse dans un futur proche. »
An De Coen, Expert en Compétences et Marché du Travail chez Idea Consult
20 %
Selon une étude du groupe d’experts en sociologie de la VUB, la précarité de l’emploi touche quelque 20 % de la population active.
Par exemple, de nombreux intérimaires risquent de rester sans travail et beaucoup d’indépendants sans revenus tant que l’économie ne retrouvera pas son rythme de croisière. La hausse du chômage des jeunes est également typique des périodes de ralentissement économique. Dans le meilleur des cas, tous ces groupes bénéficieront d’indemnités relativement faibles.
Stimuler la mobilité intersectorielle
Pour rétablir l’activité économique le plus rapidement possible, les plans de relance du gouvernement doivent privilégier la mobilité intersectorielle. Les secteurs sont encore trop cloisonnés aujourd’hui. Par conséquent, les travailleurs sont trop souvent mis en chômage temporaire, alors qu’ils disposent de capacités pertinentes pour d’autres secteurs d’activité.
« Les groupes vulnérables en particulier sont durement touchés par la crise du coronavirus. Il n’en demeure pas moins que le vieillissement de la population active continue de peser, tout comme la course aux talents s’intensifie pour les profils en pénurie. Nous devons donc recycler les talents des personnes qui ont été laissées pour compte en raison des circonstances actuelles. La collaboration intersectorielle doit être stimulée, surtout pour ces groupes. »
Stefaan Windels, Coordinateur Convention Sectorielle auprès des autorités flamandes
#3 L’insécurité d’emploi fait chuter l’intention de départ à un niveau historiquement bas
Vissé à sa chaise
Les analyses d’Acerta montrent que les collaborateurs restent fidèles à leur employeur pendant 10 ans en moyenne. Autant dire que le Belge n’a jamais été un véritable job hopper. Mais la crise du coronavirus, ainsi que la crainte et l’insécurité qui l’accompagnent, ont engendré une véritable immobilité professionnelle. Les travailleurs sont disposés à assumer un nouveau rôle ou une nouvelle fonction au sein de leur organisation, mais font face pour l’instant à trop d’incertitude pour changer d’employeur.
« Dans la consultance, la rotation du personnel est traditionnellement élevée. Mais au début de la crise du coronavirus, les travailleurs sont soudain restés vissés à leur siège. Ce n’est qu’après le confinement que nous avons à nouveau perçu un mouvement, même si les départs restent toujours moins nombreux qu’auparavant. »
Karine Vandenberghe, Executive Coach & Consultant chez Perpetos
Le temps de la réflexion
En même temps, la manière dont l’employeur actuel gère la crise semble affecter l’intention de départ. Ceux qui reprochent à leur employeur d’avoir manqué de vision ou de dynamisme en tirent aujourd’hui leurs conclusions. Ainsi, une politique de télétravail flexible constituera un point de négociation pour de nombreux travailleurs qui ont goûté à la souplesse et à la productivité de la collaboration à distance pendant la crise.
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Les collaborateurs restent fidèles à leur employeur pendant dix ans en moyenne. (source: Acerta).
« D’une part, les travailleurs adopteront une attitude attentiste pendant encore un certain temps. D’autre part, ils ont eu largement le temps ces dernières semaines pour réfléchir à leur emploi, à leur employeur et à leurs perspectives de carrière. Par conséquent, si une opportunité réelle se présente, je pense effectivement qu’ils la saisiront. »
An De Coen, Expert en Compétences et Marché du Travail chez Idea Consult
#4 La révolution digitale intensifie la course aux talents
Un environnement apprenant pour tous
Dans la perspective européenne, notre pays affiche un taux de vacances d’emploi très élevé. Dans les années qui viennent, la révolution digitale fera disparaître des emplois, mais elle en créera en même temps de nouveaux. Les employeurs devront donc se montrer sous leur meilleur jour pour attirer les profils les plus adaptés.
Par contre, les profils peu et moyennement qualifiés auront encore plus de difficultés qu’aujourd’hui, car ces nouvelles offres d’emploi nécessiteront des compétences différentes – généralement digitales. L’apprentissage tout au long de la vie devient donc de plus en plus la clé d’accès aux carrières durables.
« Il n’est plus question d’apprendre, puis de travailler, mais d’apprendre en travaillant, tout au long de la carrière. Et ceci n’est d’ailleurs pas réservé aux seuls profils hautement qualifiés. Les ouvriers et techniciens ont droit eux aussi à un environnement apprenant, mais il reste encore un long chemin à parcourir pour y parvenir. »
Suzanne Verdonschot, Consultante et Chercheuse chez Kessels & Smit
50 %
La moitié des travailleurs belges ont suivi une formation l’année dernière. (Randstad Research, mars 2020).
Apprendre pour le long terme
Au niveau de l’apprentissage, notre pays a certainement encore des efforts à faire. Selon une enquête de Randstad Research (mars 2020), la moitié des travailleurs belges ont suivi une formation l’année dernière, ce qui constitue un chiffre moyen au niveau européen. Mais cet apprentissage s’inscrit encore trop peu dans une perspective à long terme. Autrement dit, les travailleurs suivent surtout des formations de courte durée en fonction de leur job actuel. Ils n’apprennent pas à réorienter leur carrière.
« Surtout, n’oublions pas la formation des dirigeants. Nous vivons dans une époque de co-création, mais dans de nombreux cas, le leadership n’y est pas préparé. L’approche top-down classique doit de toute urgence céder la place au co-leadership et à un monde du travail inclusif. »
Pascale Schütz, Group Director Executive Search chez Mercuri Urval
#5 La fidélité à l’emploi disparaît au profit de la fidélité à l’employeur
Flexibilité : tout le monde n’y est pas préparé
Notre société évolue à toute vitesse et il est essentiel que l’entreprise s’adapte en permanence à tous ces changements. Celle qui ne le fait pas sera irrévocablement vouée à disparaître. Mais la force de toute organisation réside dans son capital humain. Par conséquent, les collaborateurs doivent eux aussi faire preuve de flexibilité.
L’apprentissage tout au long de la vie en constitue un aspect crucial, au même titre que la mesure dans laquelle l’employeur encourage la mobilité interne des collaborateurs, sous la forme d’une promotion, mais aussi en leur permettant de se spécialiser ou d’accepter un tout autre défi au sein d’une équipe différente ou d’un nouveau département. Les collaborateurs peuvent ainsi rester fidèles à leur employeur, tout en accumulant quand même de nouvelles expériences professionnelles. Malheureusement, tout le monde n’y est pas préparé de la même manière, comme le montre la pratique.
« D’une manière générale, nous devons réfléchir encore plus en termes de compétences et mettre en place des outils intelligents pour faire coïncider les travailleurs et les emplois sur la base des compétences, plutôt que sur la base des diplômes et titres de fonction. Cela permettra aux travailleurs de regarder plus facilement au-delà des limites de leur domaine ou même de leur secteur. »
Marie-Kristine Van Bockestal, Administrateur Général au FOREM
« Pour assumer de nouveaux rôles, les collaborateurs doivent changer leur état d’esprit et être disposés à regarder au-delà des murs de leur département ou de leur spécialité. Je sais d’expérience que la mobilité interne n’est pas toujours facile à organiser. Cela demande beaucoup d’énergie et la réussite n’est pas toujours garantie, mais elle fait partie de l’évolution. »
Pascale Schütz, Group Director Executive Search chez Mercuri Urval
Le développement par une succession de rôles
En assumant consécutivement différents rôles au sein de l’organisation, les collaborateurs développent une large palette de compétences, qui améliorent automatiquement leur employabilité et permettent en prime à l’organisation de réagir plus rapidement aux évolutions du marché.
« Je crois toutefois que, dans les conditions économiques incertaines que nous connaissons, les travailleurs seront davantage disposés à envisager une mutation ailleurs dans leur organisation. Cela pourrait accélérer sérieusement leur processus d’apprentissage. »
An De Coen, Expert en Compétences et Marché du Travail chez Idea Consult
« Les entreprises et les organisations qui réussiront demain sont celles qui mettent dès aujourd'hui l'apprentissage au cœur de leur stratégie. Elles sont conscientes du fait que les compétences que leurs collaborateurs développent aujourd'hui risquent d’être obsolètes demain. »
Notre vision